Musique: Domenico Scarlatti - Sonate en sol majeur L 349.

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Réfer.: AL0005.
Auteur: Anonyme.
Titre: Discours d'autheur incertain sur la Pierre des Philosophes.
S/titre :

Editeur : Mss BN 19957.

Date éd.: 1590.
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Discoursd'AuteurIncertain

surlapierredesphilosophes






Ref. B.N. F.F No 19957 Ancien st Germain français.
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L'an de grâce 1588 du règne de Henry Trois Roi de France et de
Pologne.

Et le douzième jour du mois de mai: lorsque tout le peuple
s'était mutiné et mis en armes en très dangereux péril dedans la ville
de Paris en laquelle je faisait ma demeurance avec toute ma famille.
Etant atteint d'une humeur mélancolique et rempli de tristesse pour
passer le temps je m'en allai dedans le beau et plaisant jardin de
Monsieur de Meucra, et là etant attentif à contempler l'ingénieuse et
artificielle fontaine il y survint incontinent deux philosophes l'un
desquels etait Anglois homme prudent sage et de grande litterature agé
de soixante et huit ans et l'autre etait Espagnol d'un esprit très
subtil songeur mélancolique et parlant peu, agé de cinquante deux ans.
Et comme une parole attire l'autre nous entrames en discours sur la
saison du temps et accidents survenus en la ville à l'improviste et
portant très grande conséquence. Mais enfin tant làs de nous promener
nous retournames à la susdite fontaine et etant assis l'un près de
l'autre ces deux docteurs commencèrent à disputer ensemble de la
grande médecine Elixir ou pierre des philosophes et après un long
discours duquel ils n'etaient d'accord (comme ordinairement on voit
advenir en telles disputes) enfin le philosophe Anglais se tournant
vers moi me dit ainsi: que vous semble de nos discours, vous delectez
vous point d'un tant honnète et vertueux art, à quoi je fit reponse
disant: certainement non encore que j'en ai été semond et invité par
plusieurs de mes amis lesquels à ce qu'ils disent y prennent grand
plaisir et y travaillent ordinairement. Mais d'autant que j'ai oui
dire à gens bien sages que c'est une chose tant grande et quasi
impossible à finir et qu'il faut ètre bien savant et profond en
philosophie et riche pour y dependre et moi qui suis mal garni de
telles perfections et comme n'en n'ayant point du tout et considérant
que comme les choses naturelles et les causes d'icelles soient difficiles
et fortes à investiger et savoir à plus forte raison celles qui
sont supernaturelles soient très fortes et très difficiles comme de
tout nous ignorons la cause d'icelles ou parce qu'elle n'en a point et
lors on /Ibis ne la doit pas acquerrir et moi n'ayant jamais étudié en
la philosophie je suis du toutignorant en cette science et en toutes
autres et pour vous en dire la vérité je n'y crois nullement. D'autant
que j'ai oui dire à plusieurs personnes qui y ont travaillé que jamais
n'y ont rien trouvé ni oui dire à homme vivant avoir vu personne ètre
arrivé à telle perfection, de sorte que j'ai quelque occasion d'ètre
un peu froid pour entreprendre une telle oeuvre que chacun dit ètre le
grand oeuvre de la secrète philosophie.

Lors le philosophe Espagnol dit ainsi :

Si plut à Dieu que j'eusse fait ainsi sur mon commencement et
lorsqu'il m'en fut parlé la première fois il m'en serai de mieux de
plus de six mille ducats et vingt cinq ans de mon temps que j'ai perdu
et rien trouvé pour avoir cru légèrement.

Je ne m'en ébahi pas (ce dit le philosophe Anglais) d'autant que
vous n'avez jamais fait choses que sophistiques et hanté gens faux et
larrons et pleins de deceptions. Mais ainsi que j'ai oui dire et
accertener à un religieux et saint homme lequel avait cette perfection
qu'il n'y faut pas tant de depenses ni tant de mystères principalement

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quand l'artiste a connaissance des principes de nature et racines de
métaux ainsi pareillement je le crois et si vous eussiez etudié dedans
les bons livres vous n'eussiez pas été si tôt trompé. Mais la principale
chose de cette erreur est la presomption et perverse avarice de
quoi s'en ensuit que cet art sacré est quasi blame de tous et tenu
pour frivole.

Lors je me prit à sourire et lui me dit :

De quoi riez vous et je lui dit de quoi vous dites art sacré, à
quoi il fait réponse en levant les yeux au ciel: art sacré voirement
science divine et si voulez croire à mes paroles lesquelles sont
véritables et sans dissimulations je vous en dirai ce que j'en ai vu
et touché de mes mains.

Lors je lui dit :

Je vous en prie très humblement.

La ou s'etant levé debout et avec le doigt de la foi donnant
témoignage commenca ainsi à dire :

Vous devez entendre qu'il y a quarante ans en la ville de Londres
où suis né il y vint un religieux de l'ordre de saint Menard la
renommé duquel fut incontinent éparse par toute la ville à cause des
maladies incurables qu'il guérrissait sur les pauvres patients. Et
telle nouvelle etant venue aux oreilles de mon maitre lequel etait
enflammé à l'inquisition de cette medecine y ayant travaillé ja
longtemps plusieurs fois me dit que je m'informasse diligemment de ce
religieux ce que je ferais tant de mon coté comme mon maitre du sien.
Et enfin nous découvrîmes qu'il etait en la maison d'un pauvre /2
malade qui avait été six jours entiers sans pouvoir uriner et etait
parent de mon dit maitre

Et l'ayant accosté il se montra humain et gracieux et (parfait)
de temps un jour se convia à diner à notre maison montrant signe
d'amitié à mon maitre à cause qu'il etait savant en langue grecque et
avait de beaux livres de cette science. Ayant diné et fait bonne chère
il dit :

Allons voir la chambre philosophique. La où etant entrés nous
trois seulement il croullait la tète ce souriant voyant tant de
fourneaux et de vaisseaux divers et matières étranges. Enfin il dit :

Baillez moi quatre onces de vif-argent et autant d'étain et les
mettez dedans un creuset sur le feu et quand ils furent fondues
ensembles il y jeta un morceau de cire qui n'etait pas plus gros qu'un
pois et couvrit le creuset de charbons et nous fit souffler fort et
puis le jeta en terre et dit à mon dit maitre :

Faites examiner cette composition par l'affineur et demain je
viendrais encore diner avec vous et vous me direz que c'est. Et
prenant congé s'en alla à son logis.

Incontinent après mon maitre et moi allames en dilligence sur

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l'affineur le plus expert de toute la ville. Et ayant fait passer par
l'examen le plus puissant qu'il se peut faire pour voir la perfection
d'icelle chose. Enfin fut trouvé près de sept onces de très fin or qui
ne faisait point de marques sur le parchemin.

Quoi voyant mon dit maitre demeura comme en extase et rempli de
merveilles, retournant à la maison ne fut en notre puissance en toute
la nuit de dormir une seule heure. Et ayant apprété le diner mon
maitre alla querrir ce saint homme et ne le sut jamais trouver et
ayant consommé quinze jours à le chercher enfin il nous fut dit qu'il
etait passé en France. De quoi mon maitre en fut malade de tristesse
et de mélancolie.

Et moi à qui le sang bouillonnait ayant vu l'expérience ja dite
je demandais congé à mon maitre pour aller chercher ce saint homme. Ce
qu'il m'octroya incontinent non sans regrets et m'ayant mis en bourse
cent angelots et fait present d'une once d'icelui or pour certifier la
chose etre véritable.

J'ai voyagé quasi par tout le monde pour trouver ce saint homme
et jamais ne l'ai su rencontrer. Et voici encore le reste (montrant
une verge d'or qu'il avait au doigt) qui m'a donné entré en plusieurs
endroits avec gens d'autorité et de savoir avec lesquels j'ai travaillé
en cet oeuvre et jusqu'ici Dieu n'a permis que j'ai trouvé cette
perfection. Et encore que la vieillesse me talonne de près ayant
soixante et huit ans je ne cesserais jusqu'à la mort de chercher cette
précieuse pierre sachant ètre très vraie.

Et ayant achevé son discours se assit. Et moi je lui rendit grace
et me senti incontinent poindre au coeur voyant telles parolles sortir
de la bouche d'un homme tant sage et prudent.

Et se faisant nuit chacun pris congé de sorte que telles choses
entrèrent si bien en ma cervelle que ne faisait qu'y penser jour et
nuit. Et mon naturel s'etant quasi changé du tout mes amis pensaient
qu'il me fut survenu quelque infortune ou en mes biens ou autrement
"tant iestoit songeard" et melancolique et lors je pouvait avoir
cinquante trois ans et quasi tous les jours nous etions tous trois
ensembles passant le temps en devis philosophique pour ce grand
oeuvre. Tant que au mois d'octobre le philosophe Anglais mourut au
faubourg saint Germain et me trouvait à son trépas ce qui me gréva
fort, et me donna trois livres de cette science m'exortant sur toutes
choses à ne m'accoster ni fréquenter avec les hommes ignorants malins
et sophistiques etant la chose la plus dangereuse pour celui qui veut
travailler en cet art précieux. Peu après le philosophe Espagnol s'en
alla en Allemagne et je demeurai tout seulet privé d'un grand plaisir
et contentement et en fut malade de mélancolie ne sachant plus avec
qui deviser et passer le temps d'autant que plusieurs hommes de grand
savoir n'approuvent cet art etre véritable.

Toutefois ne me pouvant contenir je m'accostais de plusieurs qui
y travaillaient mais c'etait tous sous fausses recettes et sophistiqueries.
De manière que me souvenant des bons préceptes que m'avait
dit le defunt philosophe lequel pour mon repos me fut comme un ange
envoyédu ciel. D'autant qu'il m'avait dit tous les signes et les

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